Aussi intelligents que nous soyons nous avons une tendance à nous engager et des difficultés à revenir en arrière. Bien que les clients fidèles soient la plupart du temps moins bien traités que les autres, stratégie d’acquisition oblige, vérifiez avec votre opérateur de téléphonie mobile si vous doutez, nous nous obstinons à croire que la fidélité à une marque va être récompensée.
Par exemple, s’il faut choisir entre deux week-ends au ski et effectuer deux réservations. Une à 100 dollars dans le Wisconsin et l’autre à 150 dans le Michigan. À l’évidence en recevant les descriptifs, quoique la réservation fût moins onéreuse, le week-end dans le Wisconsin à l’air mieux. Ce qui devait arriver arriva, les deux week-ends tombent en même temps et il faut choisir…. Aïe, les deux réservations sont évidemment perdues. Le bon sens voudrait que les étudiants choisissent le week-end le plus prometteur et c’est pourtant le plus cher qui remporte la majorité des suffrages. Trop investi pour abandonner ? Si j’accepte de payer davantage dans ma réservation, c’est que ça vaut plus, et en conséquence je perds moins même s’il s’avère que l’autre week-end était mieux et la somme dépensée au final identique. Il y a un processus d’adhérence très fort à la décision initiale si celle-ci est librement prise, mis en évidence dans cette expérience de Arks et Bleumer.
Quand on choisit sa route, on la suit jusqu’au bout !
1976, on remet à des étudiants d’Harvard un dossier financier complet en leur demandant de réaliser un choix d’investissement entre deux filiales pour une compagnie quelconque. Ce fonds spécial qu’ils doivent attribuer à l’une des filiales est destiné à financer son développement. On leur remet ensuite un dossier d’audit qui fait un point sur les résultats en imaginant que quelques années sont écoulées et on leur demande d’attribuer à nouveau de réaliser une décision d’investissement. Évidemment au groupe qui mise sur A on remet un dossier ou les résultats sont catastrophiques, et inversement à ceux qui misent sur B. Malgré ces résultats, la majorité des étudiants investissent à nouveau dans la même filiale. Bien entendu dans des conditions de contrôles (un groupe informé des résultats après un investissement initial) aucun groupe ne mise un dollar sur la filiale qui a tout « dépensé » sans succès. Nous avons tendance à maintenir une décision même si elle injustifiée c’est ce qui s’appelle l’escalade de l’engagement. Une offre alléchante reçue par la poste ou vue sur le Web nous conduit à un centre commercial, on entre dans la boutique, l’offre n’est pas si alléchante ou plus disponible, mais puisqu’on est là… on revient rarement les mains vides !
+ Cet engagement peut avoir des conséquences encore plus étonnantes et nous conduire à des comportements monstrueux si l’on se réfère à la célèbre expérience de Milgram. L’expérience initiale est menée entre 1960 et 1963 à l’université de YALE (USA). Sous prétexte d’expérimentation sur l’influence du châtiment corporel dans le processus de mémorisation, des sujets naïfs (les « moniteurs ») sont conduits à administrer des chocs électriques de plus en plus forts à une victime innocente (« élève »). Les chocs électriques sont fictifs (l’élève est un comparse), mais le sujet naïf l’ignore. Ces « chocs » sont administrés par le moniteur à chaque erreur de l’élève et sont progressifs : de 15 en 15 volts jusqu’à 450 volts. L’autorité est incarnée aux yeux des sujets par les responsables de l’expérience, le professeur et son adjoint (et symbolisée par leurs blouses blanches). 65 % des sujets se révèlent obéissants et administrent les chocs maximums tant que l’autorité leur apparaît homogène. Si l’autorité n’est plus homogène (divergence d’opinions de la part des scientifiques), ce taux tombe à 0. Les résultats de la même expérience, répliquée en Allemagne font apparaître un taux d’obéissance de 85 %, tout à fait inattendu compte tenu de l’histoire de ce pays et des enseignements qu’elle était supposée avoir apportés. En Belgique en 1974 avec un protocole différent, les sujets sont invités à persécuter verbalement un candidat (fictif) à la recherche d’un emploi. Le taux d’obéissance est de 92 %. Ces recherches mettent en évidence la capacité d’obéissance des individus à une autorité reconnue. Les sujets expliquent et justifient leur comportement par leur soumission à l’autorité. Une fois l’expérience commencée, s’arrêter reviendrait à reconnaître l’immoralité de ses actes en devenant pour le coup responsable. Dans les expériences de Milgram, les personnes qui résistent à l’influence peuvent tout à fait se soumettre dans d’autres circonstances. Ces personnes ne présentent aucune caractéristique spécifique. Aucun paramètre ne permet d’expliquer la résistance. À partir du moment où la situation a été correctement analysée et lorsque l’on construit un dispositif spécifique, l’effet d’influence est vérifié. C’est sous cet angle que Milgram explique la stabilité de la solution finale mise en place par l’Allemagne nazie. Des tâches fragmentées et une absence totale de responsabilité individuelle, en laissant aux psychopathes le soin d’exécuter les tâches les plus cruelles des camps.