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Le langage du corps est perpétuellement décodé par nos interlocuteurs. Il peut renforcer notre image de marque ou notre discours. Mais il peut également perturber la compréhension. Une étude de Gurk et Mac Donald datant déjà d’une bonne trentaine d’années a démontré que nous utilisons nos yeux pour entendre les mots. En d’autres termes nous lisons tous, un peu, sur les lèvres.
Pour cette expérience les chercheurs ont filmé une personne prononçant des syllabes. Par contre le film était projeté avec une autre bande sonore prononçant d’autres syllabes. Sur un exercice de reconnaissance sonore, si les sujets tournaient le dos à l’écran ils étaient de 90 % à 99 % à réussir. Mais si les sujets étaient face à l’écran, le taux de succès chutaient vertigineusement à seulement 20 % de reconnaissance. La capacité de brouillage du langage non verbal est ainsi démontrée.
Dans une étude de 1981, les chercheurs ont observé les gestes de 45 couples parlant dans un café pendant quatre minutes. 1369 gestes ont été notés, et 2 grandes catégories mises en évidence : les gestes d’argumentation, qui renforcent le discours, et les gestes parasites, sans rapport avec le discours (manipuler un objet, ses cheveux, se gratter…). Le plus étonnant dans cette expérience est le pourcentage très nettement supérieur de gestes parasites. Effectivement 73 % des gestes émis étaient des gestes parasites. Le stress impacte également fortement la production de gestes.
Une expérience pour illustrer : la situation anxiogène était l’attente d’un voyageur à l’aéroport d’Orly et la situation de détente était le repos au jardin du Luxembourg à Paris. Les 12 gestes parasites les plus fréquents exprimant l’anxiété ont ainsi été identifiés : gestes de mains, toucher ses cheveux, mouvements de la bouche, soupirs, gestes des bras, regarder sa montre, manipuler un objet, ajuster ses vêtements, mouvement du corps, changer de place, taper du pied. Durant l’étude 570 gestes parasites ont été observés, dont 347 (61 %) en situation de stress contre 223 (39 %) en situation de détente. L’impact de la nervosité sur la production de gestes parasites est ainsi démontré. Les vendeurs auront compris d’eux-mêmes : il est nécessaire de contrôler votre production gestuelle en l’orientant vers des gestes d’argumentation qui vont soutenir votre discours. Mais cette production gestuelle vous permet également de décoder votre interlocuteur et notamment son état de stress. ■
Quels sont les principaux signes non verbaux ?
La communication non verbale est au centre de travaux en sciences sociales qui considèrent l’activité corporelle comme base de l’interaction sociale. Elle a notamment été introduite par l’anthropologue américain Ray Birdwhistell qui, en analysant plan par plan des séquences filmées d’interaction entre des personnes a montré que, dans l’acte de parler, les yeux, le visage, les membres et le torse produisent des signes qui, s’ils semblent passer inaperçus, transmettent néanmoins de l’information. Ces signes non verbaux peuvent être comparés au langage, avec lequel ils sont coordonnés à tous les niveaux. Selon Edward Hall, on peut affirmer qu’entre 50 et 90 % de l’information est véhiculée par des moyens non verbaux. Il serait néanmoins abusif de parler de communication non verbale comme d’un phénomène isolable de la communication en général. Celle-ci est en effet un phénomène complexe, multidimensionnel, qui utilise de multiples canaux.
Des signes non verbaux considérés comme allant de soi, souvent émis inconsciemment, jouent un rôle essentiel dans la manifestation des attitudes et des intentions, et servent d’indices comportementaux. La signification assignée à des éléments non verbaux, comme l’apparence physique, l’habillement, le maintien, les mouvements, les attitudes, l’intensité de la voix, les gestes, le maquillage du visage, les mimiques, l’expression émotionnelle, forment le contexte dans lequel le message verbal prend un sens, même si les personnes n’ont pas conscience d’attribuer des intentions à ces éléments.
Si un individu peut s’arrêter de parler, il ne peut s’empêcher de communiquer par le langage du corps. Des signaux paralinguistiques tels que hauteur de voix, rythme de parole, contours d’intonation, position de l’accent, aspect mélodique de la segmentation du flux de paroles, indicateurs intonatifs de tours de parole et gestes quasi linguistiques remplaçant ou soulignant des éléments verbaux. Des messages du corps, conscients ou inconscients, interprétés de façon technique ou non, composant, par symbolisme corporel, un dialecte des attitudes et des gestes (la kinésique étudie la façon de se mouvoir et d’utiliser son corps).
La proxémique
La proxémique : la communication reliée à l’espace est l’étude de la perception et de l’usage de l’espace par l’homme[1], étude de l’ensemble du comportement façonné par la culture, plus particulièrement par les aspects de la culture qu’on considère le plus souvent comme évidents et qui fonctionnent selon un code secret et complexe qui n’est connu de personne, mais compris par tous les membres d’une communauté[2]. ■
Les distances spatiales :
- Intime (-0,45 m) : vision aiguë et grossissement des détails, toucher, olfaction, pression, chaleur, registre sonore faible
- Personnelle (0,46-1,25 m) : vision précise des détails, toucher, olfaction, pression, registre sonore normale
- Sociale (1,26-3,65 m) : vision précise de l’ensemble de la personne, olfaction rare, registre sonore plus élevé
- Publique (3,66 – 7,5 m) : vision d’ensemble de la personne, registre sonore élevé
Les signaux non contrôlés
La “kinesthésie” concerne l’étude des mouvements du corps dans la communication. Birdwhistell a estimé 700 000 signes possibles qui peuvent être transmis par les mouvements du corps. Certaines mimiques peuvent être facilitatrices de la communication. Le regard directif (facteur de franchise), à l’inverse du regard fuyant (rupture du contact visuel = ennui, gêne…) le sourire : qui permet de marquer sa non-agressivité, il incite à la convivialité. Le visage humain est si mobile qu’il peut facilement indiquer l’ennui, la surprise, l’affection, la désapprobation les uns après les autres en quelques secondes. On lit toujours des expressions sur le visage des personnes. De ce fait, les signaux faciaux constituent la plus importante source de communication non verbale.
Mouvements oculaires
L’étude du rôle du contact visuel dans la communication est appelée “oculesics”. Ainsi, bien que le visage ait été appelé le principal menteur non verbal, les signaux donnés dans le contact visuel semblent révéler une bonne partie de la personnalité. Apparemment nous avons un plus grand contrôle des muscles de la partie inférieure du visage que ceux qui se trouvent autour des yeux. Ainsi, le visage inférieur suit les règles culturellement transmises tandis que les yeux révèlent les réponses spontanées. La programmation neurolinguistique (PNL) tente de reprogrammer ou changer les comportements des patients en découvrant ce à quoi ils sont en train de penser. Par exemple, les yeux qui bougent en haut et à droite indiquent que l’individu est en train d’imaginer un évènement qu’il n’a jamais vu, etc.
On estime de 30 à 60 % le temps passé dans le contact visuel avec les autres dans la communication de groupe. De fréquents contacts visuels sont un signe d’affection ou d’intérêt. Dans la communication publique, la fréquence des contacts visuels affecte le récepteur du message, ainsi l’audience préfère les speakers qui maintiennent un bon contact visuel. De plus, les yeux sont considérés comme une source valable d’informations, en effet, la pupille se dilate en fonction d’un intérêt croissant.
Quelques beaux gestes
Les gestes d’appui du discours verbal ont une signification communément admise. Les gestes porteurs de messages sont des gestes codés qui transmettent un message sans intervention de la parole comme le pouce levé de l’auto-stoppeur. Les gestes de ponctuation vont appuyer le discours, expliquer ses propos comme les gestes faits lorsque l’on indique une route à suivre. Les gestes régulateurs accompagnent l’écoute du récepteur comme les hochements de tête. Les gestes émotionnels traduisent des émotions et expriment des états intérieurs. Les ” autos contacts ” : grattages, pincements, caresses… que l’on se fait à soi-même, surtout s’ils sont entre le nez et le menton marquent un état de réflexion, ou plus souvent un état de gêne. Comme les activités de dérivation : prises d’objets, manipulations, déplacements, appuis.
Les mouvements des mains… Constituent un mode de communication non verbale venant juste après les signaux faciaux. Ekman a distingué une centaine de mouvements de mains et ces mouvements évoluent avec les différents stades de traitements de malades mentaux. Ces signaux se substituent à la communication verbale. La plupart des mouvements de mains sont déterminés culturellement. ■
Les principaux codes de postures
Postures de soumission = posture en contraction : tête rentrée ou inclinée, épaules basses, buste courbé, pieds rentrés, paumes vers le haut…
Postures de dominance = posture en extension : menton et tête hauts, épaules ouvertes, jambes écartées, pieds ouverts, paumes vers le sol.
Posture de rejet : tête en recul ou détournée, bras barrière, buste profil, regard de travers, appuis arrière…
Postures en approche = attitude participative : tête avancée, cou allongé, buste penché en avant, bras vers l’autre, mains ouvertes, un pied en avant…
Il faut analyser la cohérence ou l’incohérence entre le fond de ce que dit l’individu, le sens des mots, et la posture de son corps. La dissonance et la consonance : il y a dissonance quand deux postures partielles se contredisent : il y a congruence lorsque deux personnes adoptent les mêmes postures : le courant passe alors bien. Il y a ” incongruence ” lorsque les attitudes sont opposées : le courant passe mal.
L’orientation : Il s’agit de l’angle que fait notre corps quand nous interagissons avec d’autres personnes, cela reflète la nature de la relation entre nous. Ainsi, une orientation de 90° facilite la conversation, la coopération est mise en évidence par une position côte à côte, la compétition par un face à face et la
coaction par la position la plus éloignée possible.
Codage du non verbal.
Dans toutes les sociétés, les personnes sont conditionnées pour repérer les signaux non verbaux. Par exemple durant la conversation nous recherchons des indications d’approbation. L’orientation du corps (décontractée, position ouverte), l’apparence physique, les regards, les signes de la tête, les poignées de main, et les sourires sont ici primordiaux. Des regards soutenus et fréquents (accompagnés de signes de tête) rendent l’interlocuteur empathique, sympathique, courtois, crédible et confiant. A l’opposé, le sentiment de méfiance augmente avec l’absence de regard. En effet quand nous sommes nerveux, nous fuyons le regard et nos yeux rencontrent le regard de l’autre personne moins de 40 % du temps. Vos interlocuteurs décodent également les signes “para linguistique” par exemple les variations du ton de la voix, les pauses et la fluidité du discours. Une étude a démontré que des auditeurs sont capables de détecter l’émotion exprimée à travers le message uniquement grâce à la tonalité de la voix. Des discours fluides, sans de longues pauses, sans hésitations et sans répétitions sont considérés comme crédibles. Les pauses courtes et adaptées ont tendance à augmenter votre crédibilité et la confiance que vous inspirez. Un débit lent, une voix faible avec peu d’inflexions favorisent la perception de sympathie. Un débit rapide, une voix forte, et un plus d’inflexion traduisent surtout la compétence.
Le décodage des gestes attitudes et expression
Quand vous adoptez une attitude ouverte, vous transmettez de la chaleur humaine et de la réceptivité, ainsi vous augmentez vos chances de persuader votre interlocuteur. Par exemple quand vous vous penchez à l’avant d’une chaise, avec vos mains sur vos genoux ou légèrement serrées, vous montrez que vous écoutez et êtes disposé à poursuivre. Les experts Gérard Nierenberg et Henry Calero ont montré qu’à chaque fois qu’une négociation se passe bien, les participants assis déboutonnent leur veste, décroisent leurs jambes, s’asseyent en avant de leurs sièges, et se déplacent plus près de l’autre partie. Les participants se resserrent et utilisent les mots qui font ressortir les besoins communs et les avantages positifs de l’accord. ■
[1] E. Hall, 1957
[2] E. Sapir, 1968